ConfrontĂ©e Ă la guerre, la philosophie semble intempestive, Ă contre temps. Elle se dĂ©ploie quand la guerre nâest pas encore lĂ , tentant de retenir tout ce qui pourrait prolonger la paix, ou quand la guerre nâest plus lĂ , sâescrimant alors Ă penser la «rĂ©paration», panser les blessures, accompagner les deuils, rĂ©animer la morale, rĂ©tablir la justice. Lorsque «la guerre est là », lorsque fusils dâassaut, bombes et missiles Ă©ventrent les immeubles, incendient fermes, Ă©coles, hĂŽpitaux et usines, rasent des quartiers entiers, laissant sur le sol carbonisĂ© enfants, hommes et femmes, chiens et chevaux, lorsquâon est contraint de vivre tremblant dans des caves, lorsquâil nây a plus dâeau potable, lorsquâon meurt de faim et de douleur – eh bien la philosophie ne trouve guĂšre de place dans les esprits. Peut-ĂȘtre est-ce lĂ la raison pour laquelle il nây a pas une «philosophie de la guerre» comme il y a une «philosophie du langage» ou une «philosophie de lâart», et que le discours de la guerre renvoie plus aisĂ©ment Ă la littĂ©rature ou au cinĂ©ma, aux discours de stratĂ©gie et dâart militaire, dâIntelligence, dâhistoire, dâĂ©conomie, de politique. Pourtant – de HĂ©raclite Ă Hegel, de Platon Ă Machiavel, dâAugustin Ă Hobbes, de Montesquieu Ă Carl von Clausewitz, Sebald Rudolf Steinmetz, Bertrand Russell, Jan PatoÄka ou Michael Walzer – les philosophes ont toujours «parlé» de la guerre, pour la dĂ©noncer ou la justifier, analyser ses fondements, ses causes, ses effets. La guerre serait-elle le «point aveugle» de la philosophie, la condamnant Ă ne parler que de ce qui la prĂ©cĂšde ou la suit, ou au contraire le «foyer» brĂ»lant oĂč se concentrent tous ses problĂšmes, de morale, dâimmoralitĂ©, de paix sociale, dâEtat, de violence, de mort, de responsabilitĂ©, de prix dâune vie?
«Polemos (guerre, conflit) est le pÚre de toutes choses, le roi de toutes choses. Des uns il a fait des dieux, des autres il a fait des hommes. Il a rendu les uns libres, les autres esclaves», Héraclite, Frag. 56)