Monique Lauret : La cure analytique par téléphone en temps de confinement

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La cure analytique par téléphone en temps de confinement par Monique Lauret pour le Cahier du (dé)confinement

mars-juillet 2020

mars-juillet 2020

 

Face à la pandémie du Covid-19, l’annonce brutale de la fermeture de tous les lieux publics et de la mise en confinement général faite par le gouvernement le soir du samedi 14 mars 2020, a plongé du jour au lendemain la population dans l’angoisse, l’affolement, l’isolement, le désarroi et la panique pour certains.  Cette annonce a fait coupure. Analysants et psychanalystes se sont retrouvés dans une situation inédite pour penser la poursuite d’un travail analytique, malgré cette rupture imposée par le dehors. Un choc traumatique collectif qui a laissé et va laisser chez certains un syndrome de stress post-traumatique, le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder). Des ondes de choc de ce traumatisme risquent de se faire ressentir plus ou moins longtemps. Le traumatisme collectif qu’a représenté l’explosion d’AZF pour la ville de Toulouse en 2001, s’est manifesté dans ma clinique à cette époque pendant plusieurs années. Le réel survient sans crier gare et ravage sur son passage les fragments d’humanité emportés.

La psychanalyse exige le présentiel du corps de l’analyste et de la personne en souffrance qui vient en demande de moins souffrir. La vie est inégale, tout comme la force psychique innée. Certaines personnes vont avoir des parcours plus ou moins chaotiques, liés le plus souvent à des enfances meurtries, des souffrances indicibles refoulées, des traumatismes transgénérationnels inscrivant dans le corps et la vie des descendants les symptômes des inhumanités subies. La psychanalyse déchiffre la figure du destin, le rendant moins dramatique. Faire une psychanalyse est un long cheminement intérieur qui permet, à travers les routes ouvertes par le travail de la cure vers les profondeurs de son inconscient, de retisser les liens du vivant en soi, de son désir, de sa parole et de naître enfin en tant que sujet.

Pratiquer des séances par téléphone n’est pas de l’analyse, ont rétorqué certains confrères pris dans les certitudes dogmatiques de leur savoir. Le cadre de la cure défini par Freud est d’une importance capitale pour que le transfert s’établisse et que l’inconscient s’ouvre. Mais ce cadre doit pouvoir s’assouplir dans des conditions extrêmes ; adapter le cadre pour des adolescents difficiles, dits états-limites, est déjà ce qui se pratique aujourd’hui. Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que Londres était bombardée, Melanie Klein a poursuivi la cure du petit Dick en étant réfugiée à Pitlochry, au cœur des montagnes d’Ecosse. La plupart des psychanalystes ont répondu présent à la possibilité de poursuivre les séances par téléphone, avec des analysants qui étaient déjà au travail et pour lesquels le transfert était déjà établi. Initiative prise par ceux qui ont soutenu leur désir de manière singulière. L’éthique est une des valeurs fondamentales de la psychanalyse. L’éthique consiste en un « jugement sur notre action »[1], rappelait Lacan, dans une éthique de la psychanalyse moderne construite pour lui sur un principe issu de l’« inhumanité » d’Antigone, ne pas céder sur son désir. Une éthique de la psychanalyse non au service des biens mais au service de l’expérience tragique de la vie. Le désir sur lequel Antigone n’a pas cédé, a été d’ensevelir dignement le cadavre de son frère Polynice, ne pas laisser sa dépouille aux chiens pour préserver sa mémoire. Laisser ouvert au choix du patient la poursuite de sa cure par téléphone a été une position éthique soutenue par la plupart des professionnels qui n’ont pas cédé sur leur désir. Le confinement imposé n’est pas le confinement de la parole. Une présence corporelle par le seul lien ténu de la voix a été possible, car la voix concerne l’être, elle est l’être. « Parce qu’elle lie l’homme au langage, la voix est la dimension de la chaîne signifiante »[2] écrit Solal Rabinovitch, montrant aussi la duplicité de la voix, à la fois signifiante et sexuelle. La voix est un objet qui se détache du corps, venue de l’Autre elle se détache de la parole. L’écoute analytique se porte aussi, au-delà des rêves, des lapsus, des fantasmes, sur la matérialité sonore du langage ; ce niveau de signifiant qui peut se dévoiler, pointé par l’analyste dans l’équivoque d’un mot à l’homophonie insistante dans le dire. Le poète précède l’analyste sur le chemin de la vérité, indiquait Freud. Il nous apporte cet « autre versant du langage » où domine la matérialité sonore des mots sur le sens, cet autre versant où règne l’inconscient.

La plupart de mes analysants ont souhaité poursuivre leur travail entamé depuis des mois ou quelques années de cette manière, par le biais du téléphone dont les fils transmettent de l’émetteur au récepteur la parole de quelqu’un, avec toute la charge émotionnelle qui lui est associée, les affects, les angoisses, les peurs, les émotions, une parole adressée à l’Autre au bout du fil. Ce qui est visé dans le message, parole pleine ou feinte, c’est que l’autre soit là en tant qu’Autre absolu. « C’est essentiellement cette inconnue dans l’altérité de l’Autre, qui caractérise le rapport de la parole au niveau où elle est parlée à l’autre. »[3], dit Lacan. Le discours vise essentiellement l’être. Ce qui m’a surprise les premières semaines, c’est la profondeur nouvelle de parole, d’une parole vraie, l’authenticité de la présence à soi et à l’autre. Nous partagions une même épreuve, le même réel vécu, fait d’incertitudes, à un moment donné de l’histoire de notre pays. Certaines cures analytiques ont fait des bonds en avant considérables. Ce temps de carence imposé par le temps du confinement a réduit drastiquement le temps social, le temps partagé avec les autres, la famille, les amis. Une réduction imposée, faire avec le peu, le presque rien, mais qui a parallèlement ouvert le temps de l’intime, le temps intérieur, le temps pour soi, penser sa vie, son histoire, l’espace possible de la pensée si l’angoisse n’est pas trop envahissante. La capacité à contenir l’angoisse varie d’un individu à un autre. Bon nombre de personnes ont découvert ce temps ouvert avec bonheur, celles qui couraient après le temps, n’avaient le temps de rien, fuyaient leur propre vie. Winnicott parlait de la capacité à « être seul », cette capacité, qui une fois l’angoisse de séparation dépassée, permet de pouvoir « être avec » soi dans les temps de solitude assumée. La solitude n’est pas l’isolement, l’homme seul en désolation, le laissé pour compte, ce vécu qu’ont malheureusement dû éprouver les personnes malades et âgées condamnées à mourir seules sans l’accompagnement de l’amour. La solitude est aussi un silence, un espace vide à appréhender, à explorer, sans avoir besoin de recourir à un autre secourable. « Le grand enseignement de l’âpre solitude », disait Victor Hugo qui a vécu de grands moments de solitude et d’isolement dans sa vie. L’intime ouvre la possibilité d’« être auprès », au plus près de soi, dans une possibilité de se découvrir Autre. La dimension de l’intime appartient à l’être humain, au sujet de la division subjective. C’est un espace intérieur qu’il peut habiter, visiter, élargir à son aise. Un lieu d’où il peut aller et venir librement, se réfugier, se retrouver dans une relecture et une remise en lumière des mouvements psychiques de son histoire vécue. C’est aussi le lieu de la résistance dans des conditions extrêmes. L’écrivaine d’origine juive, Etty Hillesum y a puisé ses forces dans une clairvoyante lucidité, malgré les conditions d’extrême déshumanisation des camps de concentration. Déportée et assassinée à Auschwitz en 1943, elle avait auparavant consigné dans son journal intime, deux ans de réflexions et de pensées intimes sur son expérience vécue[4]. Les nazis connaissaient bien cet espace de liberté intérieure qu’ils tentaient de briser par tous les moyens, allant même jusqu’à empêcher les prisonniers de rêver. Le confinement agirait presque comme une méthode taoïste, la diminution, la réduction comme méthode négative jusqu’à laisser aller dans un non-agir la puissance naturelle du cours des choses qui peut laisser advenir autrement. C’est la voie finalement positive qui a permis à certains analysants de saisir ce moment pour élargir leur temps psychique, leur temps logique nécessaire à la compréhension de leurs désirs inconscients, des mouvements psychiques profonds et à leur intégration.

Un autre phénomène m’a frappée dans les débuts du confinement, c’est la fréquence des rêves de perte, de mort et d’enfermement. Représentations plus ou moins fugaces pour certains, plus marquées pour d’autres dont l’histoire a été pavée d’enfermements intérieurs, dans le non-dit, la non communication les coupant du monde des vivants ou dans la prison de verre de leur fantasme. De la naissance à la mort, l’être humain a à faire avec la perte. Une perte qui doit pouvoir être acceptée, se dépasser, se symboliser pour laisser advenir la possibilité de la transformation et de créer du nouveau. S’intéresser uniquement au comportement des individus en négligeant ou déniant cette question ampute le sujet d’une dimension essentielle de la vie. Notre époque est marquée par le déni de la mort, les corps morts empilés de la crise sanitaire ne doivent pas être vus, mais la mort cachée le jour resurgit dans la pensée et l’imagerie onirique. Le non-respect du rituel de l’ensevelissement relevé par Robert Maggiori[5] témoigne de cette forclusion contemporaine du réel de la mort et de l’espace sacré qui doit lui être attaché pour le respect de la dignité humaine. Ce « peuple de la marchandise » comme disent les indiens Yanomami d’Amazonie, s’est trouvé brutalement confronté à la désillusion du fantasme de maîtrise totale et à l’énigme du vivant dans sa dimension la plus singulière.

L’exigence déontologique est le serment d’Hippocrate que nous avons prêté : « Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois », elle nous pousse donc à l’inventivité scientifique et institutionnelle. Inventer, toujours inventer, pour une psychanalyse en mouvement dont le souffle vivant pourra réanimer les consciences mécanisées. C’est une tâche nécessaire, dans laquelle savoir s’adapter avec vivacité et vitalité au rythme imposé du réel, nous permet de continuer à œuvrer avec joie et humilité à une pratique éthique de la psychanalyse.

 

[1] Lacan J., L’éthique de la psychanalyse, Le séminaire, livre VII, Le Seuil, 1986, p.359.

[2] Rabinovitch S., Les voix, Eres, Point hors ligne, 1999, p.19.

[3] Lacan J., Les psychoses, Le séminaire livre III, Seuil, 1981, p. 48.

[4] Hillesum E., Une vie bouleversée, Journal 1941-1943, Le Seuil, 2008.

[5] Maggiori R., Antivirus Philosophique n° 11, 15 avril 2020.

 

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Monique Lauret est psychiatre et psychanalyste française. Spécialisée dans l’éducation parentale, elle est membre de la Fondation Européenne de la psychanalyse ainsi que d’Espace analytique à Paris. Elle a publié plusieurs œuvres, dont Lectures du rêve qui a été traduit du français au chinois à Beijing.

Retrouvez ici la bibliographie de Monique Lauret.

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La cure analytique par téléphone en temps de confinement de Monique Lauret est disponible en version imprimable.

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