En préambule, une performance proposée par Southway Studio, crée et dirigé par Emmanuelle Luciani et Alex Dante
De prime abord, il ne saute pas aux yeux que des muscles on saurait tirer quelque vérité, ni même que la vérité, qui est son objet le plus constant, puisse être approchée ou trouvée par une philosophie musclée – si tant est qu’elle puisse être telle par la force, la souplesse et l’élasticité de ses concepts. Pourtant on trouve déjà dans la pensée antique bien des développements consacrés aux exercices physiques, et, à partir du moment où Milon de Crotone (le plus grand des lutteurs, vainqueur de nombreux titres Jeux panhelléniques du milieu du VIe siècle av. J.C.) introduit les méthodes d’entraînement, aux exercices qu’on pourra dire «sportifs». Dans les Lois, la République ou le Gorgias, Platon donne une place importante à la gymnastique, composée de la lutte et de la danse, et qui représente l’art par lequel les citoyens doivent se former. Mais il ajoute que cet art existe pour les corps, alors que la musique, par exemple, existe pour l’âme, avant de préciser que les efforts musculaires et les exercices athlétiques doivent conduire celui qui les pratique non seulement vers la santé du corps et la performance physique, mais surtout vers la vertu, soit la vigueur et la droiture morale, le courage, la tempérance, la maîtrise de soi, le contrôle des émotions. D’où la critique acerbe des exercices de musculation qui n’ont d’autres fins qu’eux-mêmes, qui représentent dès lors une «flatterie», une «toilette», une «cosmétique», et qui seraient à la gymnastique ce que la «cuisine» – laquelle, dit Platon, «feint de connaître les aliments les plus salutaires au corps» – est à la médecine ou ce que la rhétorique est à la justice, à savoir une forme «basse», «décevante», dont le but n’est que de «séduire» ou s’auto-complaire. La «gonflette» serait ainsi la dégradation des exercices musculaires «vertueux». Cependant, la musculation, telle qu’on l’entend à présent, n’est apparue que tardivement, au milieu du XIXe siècle, sous la forme du culturisme ou du bodybuilding. Ses fondateurs – de l’allemand Eugène Sandow au médecin français Edmond Desbonnet – placent la «culture physique» hors de la performance sportive: dans une esthétique globale du corps, où «muscles» et «beauté» seraient en symbiose. Mais aux muscles sont évidemment associés la force, la puissance, l’invulnérabilité, la dominance, l’imposition des formes de sexualité, le contrôle des émotions, la compétition, la réussite, l’autorité – valeurs qui, déjà incorporées par le nazisme, le fascisme et les pouvoirs tyranniques, sont les valeurs mêmes dont se drapent le machisme et le virilisme. Peut-on envisager que muscles et musculation ouvrent à d’autres vérités, encore insoupçonnées?