Conversation // À quoi on joue ? Périls, risques et plaisirs

On se demande d’où on tire son épingle quand on la tire du jeu, ce qu’on a exactement quand on a beau jeu ou quand on joue avec le feu, à quel jeu on joue quand on ne joue pas le jeu. La notion de jeu déroute, comme ferait aller hors de la route la roue de vélo qui a du jeu. Mais en général, lorsque les jeux sont faits, on a tort de dire que rien ne va plus. Au contraire : si les jeux sont faits, établis, dotés de règles, il est aisé de dire en quoi ils consistent, et nul ne confond plus belote et rami, solitaire et sudoku, Candy Crush et Cookie Crush. On n’aurait pas beau jeu si on s’avisait de fixer les infinies typologies des jeux: jeux de mots, jeux de hasard, d’habileté et de prestidigitation, jeux énigmistiques, mathématiques, cognitifs, jeux de lancers ou de combat, de course, de poursuite, de piste, jeux vidéos, jeux de société, de coopération, de patience, d’exploration… En chacun, différemment dosés, entrent la compétition, la lutte (âgon), la rivalité, l’égoïsme et l’altruisme, le « faire semblant » (mimicry), le hasard, l’issue incertaine, la dramatisation, la fantaisie, la créativité, l’intelligence, la force, l’adresse, la prise de risque, la stratégie, le « vertige »… Et chacun, à des degrés divers, provoque émotions et plaisirs, espoirs et déceptions, joie et rancœurs, abattement, enthousiasme, ivresse, compulsion de répétition, addiction… Aussi le jeu, qui met en jeu à près toutes les facultés psychiques et physiques de l’être humaine, sinon de l’animal, se prête-t-il à bien des approches, politique, idéologique, sociale, pédagogique, philosophique, psychologique, psychanalytique… Mais est-il possible, au-delà des classifications, des définitions, des modalités, des principes, des fonctions du jeu, de cerner ce que «jouer» veut dire ?