Monique Lauret : Que peut nous enseigner la crise chinoise du Covid-19 ?

Philo Blog

Que peut nous enseigner la crise chinoise du Covid-19 ? de Monique Lauret pour le Cahier du (dé)confinement

mars-avril-mai 2020

mars-avril-mai 2020

 

Les choses ne se dĂ©roulent jamais comme elles devraient, il y a toujours un imprĂ©vu auquel il faut s’adapter et qui bouscule la direction premiĂšre de la volontĂ©. En tant qu’humain, il nous faut faire avec l’inattendu du corps, de la maladie, de la mort, ce rĂ©el qui survient sans crier gare, qui cogne et nous rappelle notre condition de mortel. Le fantasme de maĂźtrise totale que soutient le projet idĂ©ologique de la science se heurte Ă  ce rĂ©el incontrĂŽlable du mystĂšre du vivant, un rĂ©el que l’Occident a tendance Ă  dĂ©nier dans une utopie totalitaire.

L’apparition d’un nouveau virus en Chine, apparu dans une ville hautement symbolique du centre du pays, Wuhan, crĂ©e face au risque de pandĂ©mie mondiale, un mouvement planĂ©taire fait de peurs archaĂŻques, d’angoisses de mort et de panique, de rĂ©actions primaires de dĂ©fenses comme le repli et le rejet de l’autre avec tous les effets de haine raciste qui resurgissent de pĂ©riodes de l’Histoire pas trĂšs Ă©loignĂ©es. Le rĂ©veil du dragon rencontre un obstacle, mais nous pourrions tirer enseignement de la façon dont le peuple chinois traverse l’épreuve. La Chine a choisi la mesure forte ancienne d’outils traditionnels de santĂ© publique, la mise en quarantaine de la partie du pays touchĂ©, au risque d’un arrĂȘt de la production Ă©conomique et de la souffrance de la population dans ces mesures d’isolement pour contenir le dĂ©but d’épidĂ©mie. Elle semblerait y arriver. Le point d’équilibre oĂč la tendance Ă  l’extension exponentielle de la maladie peut s’inverser est peut-ĂȘtre atteint, comme dans le mouvement alternant du yin et du yang. La pensĂ©e chinoise est cyclique et non linĂ©aire comme dans la pensĂ©e occidentale, cette pensĂ©e linĂ©aire qui sous-tend la poussĂ©e technologique actuelle. Il est d’ailleurs intĂ©ressant de relever que le mot chinois d’isolement, gĂ©lĂ­, 隔犻qui associe deux caractĂšres, diviser et Ă©loignĂ© est traduit en Occident par confinement, un terme en usage dans le nuclĂ©aire ou le biologique, du cĂŽtĂ© du discours de la science. Dans l’épreuve le sujet chinois plie, ploie comme un roseau mais ne casse pas. Sa force intĂ©rieure vient de la sĂ©dimentation d’une pensĂ©e confucĂ©enne et taoĂŻste enracinĂ©e depuis deux mille ans, privilĂ©giant l’homme dans le monde et sa sociĂ©tĂ© contrairement Ă  la pensĂ©e occidentale qui privilĂ©gie l’individu. Dans le ren confucĂ©en, le Sentiment d’humanitĂ©, l’homme ne devient humain que dans la relation avec autrui, c’est la vertu suprĂȘme. Pour le peuple occidental baignĂ© dans une toute-puissance scientifique au service de la mondialisation, le rĂ©veil risque d’ĂȘtre plus douloureux. Mais il risque d’ĂȘtre aussi intĂ©ressant dans la possibilitĂ© de remise en cause d’une mondialisation de la dĂ©mesure basĂ©e sur l’aviditĂ©, le profit rapide, au mĂ©pris des conditions Ă©thiques du contrat social entre les ĂȘtres humains, et au mĂ©pris d’une planĂšte dĂ©vastĂ©e par ses propres choix.

Je transmets en Chine depuis dix ans la psychanalyse française avec plusieurs collĂšgues pour former les thĂ©rapeutes chinois et suis allĂ©e Ă  Wuhan pendant quatre ans. La Chine met les moyens pour amĂ©liorer son systĂšme de santĂ© mentale comme elle a investi rĂ©cemment dans la crĂ©ation rapide d’hĂŽpitaux pour l’épidĂ©mie. Ce Ă  quoi j’ai assistĂ© depuis dix ans, c’est Ă  un formidable essor et une trĂšs grande ouverture au savoir-faire français. La France va-t-elle mettre les moyens pour sauver du dĂ©labrement ses hĂŽpitaux et traiter cette crise sanitaire ? Autant l’Occident, pris dans une idĂ©ologie techno-scientifique faite d’un repli vers le rationnel, le thĂ©orique, le bureaucratique, de l’ordre d’une rĂ©gression, se ferme Ă  cette dimension de l’inconscient et Ă  la psychanalyse ; autant la Chine lui ouvre grand les portes, multipliant dans les villes les centres de formation universitaire, les centres de soins, les crĂ©ations de Maisons vertes et les congrĂšs internationaux. Il y a un passage inattendu entre la pensĂ©e chinoise et la psychanalyse, deux pensĂ©es qui concernent le maintien de la dimension de l’humain en l’homme et qui constituent mon travail de recherche. La rĂ©ponse orientale n’est pas la rĂ©ponse occidentale. La psychanalyse est une pensĂ©e vivante, en constant devenir dont la Chine se saisit, contrairement Ă  l’Occident dont l’idĂ©e de progrĂšs passe aujourd’hui par un Ă©videment de la pensĂ©e, de l’humain au profit de la pensĂ©e du chiffre, du rationnel et de la machine. Ce que nous perdons en Occident et que la Chine rĂ©cupĂšre peut nous enseigner en retour dans un mouvement de circularitĂ© sur la condition de l’homme dans le monde.

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Monique Lauret est psychiatre, psychanalyste.  Membre de la SociĂ©tĂ© de Psychanalyse Freudienne (SPF) et de la Fondation EuropĂ©enne de la psychanalyse. InstallĂ©e Ă  Toulouse, elle transmet et enseigne la psychanalyse, en France, en Europe et en Chine. Ses axes de pensĂ©e et de recherche sont les questions d’éthique, de rĂ©flexion sur nos sociĂ©tĂ©s et de transmission de la psychanalyse. Auteur de L’énigme de la pulsion de mort, Puf, 2014, en cours de traduction chinoise par The Commercial Press, Beijing ; Lectures du rĂȘve, Puf, 2011, traduction chinoise : èŻ»æąŠ , The Commercial Press, Beijing, 2015 et de Trauma, Temps, Histoire, (sous la dir.), Ed. Champ social, 2016.

Retrouvez ici bibliographie complĂšte de Monique Lauret.

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Que peut nous enseigner la crise chinoise du Covid-19 ? de Monique Lauret est disponible en version imprimable 

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