Si les hommes, les femmes et les enfants font des « bêtises », que font les belettes, les hamsters et les pies voleuses : des « humanitises » ? Curieuse habitude que celle d’attribuer aux bêtes ce que les êtres humains font d’idiot, de déplorable ou d’insensé : des âneries, des vacheries, des chienneries, des singeries et autres cochonneries. L’intention est claire, et ses racines vont loin sous la terre des croyances et des pensées, devenues, par sédimentation, des préjugés. Si l’homme fait des fautes et des erreurs, des bêtises et des conneries (connil ou connin, le lapin !), c’est qu’il porte en lui quelque chose d’animal, un « monstre » que la raison ne peut dompter et que Platon lui-même situait dans le « ventre », mixte d’instincts et d’appétits, de pulsions et de désirs incontrôlables. C’est pourquoi, sachant par la raison où est le bien, il fait quand même le mal, à cause de la « part désirante » de son âme, dite « concupiscente ». Mais faire des bêtises, ce n’est pas vraiment faire le mal – ou alors un tout petit. La bêtise a quelque chose d’enfantin, et ne relève d’aucune intention mauvaise : plutôt d’un manque momentané d’intelligence, d’attention, de discernement plus sûrement, d’adresse, d’absence de clairvoyance quant aux conséquences possibles de l’action. Et si deux adultes consentants décident, dans l’ivresse, la fièvre ou un joyeux « tant pis ! », de « faire des bêtises », ils ne font aucun mal et se font plutôt du bien. Mais pourquoi chacun, s’apprêtant à parler, se fait-il soucieux de « ne pas dire des bêtises » : a-t-il peur qu’on le dise crétin, ou tient-il, par lui-même, à ce que rien ne s’échappe de son discours, comme un lapsus, qui dirait ce qu’il ne voulait pas dire ? La bêtise est ce que l’on fuit, mais qu’est-ce qui « fuit » de la bêtise ?