Catherine Chalier

Catherine Chalier pour le Cahier du (dé)confinement
mars-avril-mai 2020
mars-avril-mai 2020
A la question « comment voyez-vous le futur proche, lâavenir lointain ? » je voudrais rĂ©pondre que, pour ma part, jâai le sentiment que nous sommes actuellement acculĂ©s Ă un prĂ©sent Ă©troit, extraordinairement resserrĂ© sur lui-mĂȘme, qui rejaillit sur notre façon de penser et dâĂ©prouver Ă la fois notre passĂ© et notre futur. Le premier devient nostalgique et le second alĂ©atoire. La nostalgie donne en effet, du moins me semble-t-il, une consistance nouvelle Ă tous ces moments du passĂ© vĂ©cus trop vite car bientĂŽt remplacĂ©s par dâautres, selon un rythme de « plein rĂ©gime » comme si, en sâarrĂȘtant, nous courrions un risque. Ce qui est dâailleurs bien le cas. Et voilĂ que certains de ces moments se dĂ©tachent du flux des obligations et autres divertissements, pour se laisser apprĂ©cier plus fortement. Comme câĂ©tait bon ! Et cela dâautant plus que le futur ne se laisse plus facilement programmer, lâagenda se vide et les projets se fragilisent Ă peine esquissĂ©s en imagination. Mais jâai personnellement Ă©prouvĂ© que le renoncement Ă des projets – pourtant dĂ©sirĂ©s – nâĂ©tait pas trĂšs difficile, comme sâils avaient perdu soudain leur importance, voire leur caractĂšre impĂ©rieux. Cette modalitĂ© du temps prĂ©sent nâaffine en effet notre vision du passĂ© quâen nous soulageant dâimaginer le futur pour nous y prĂ©cipiter.
Et voici aussi quâelle va de pair avec, pour beaucoup de personnes, un apprentissage de la solitude. Celle-ci ne mâest personnellement pas Ă©trangĂšre et je ne lâĂ©prouve pas de façon inconfortable, mais jâimagine bien que ce nâest pas le cas de tous. Câest parfois une chance – du moins nous pouvons tenter de lâapprĂ©cier comme telle – car elle joue sans fard et, en permettant de dĂ©couvrir aussi quâaucune vie nâest sans lâautre, fĂ»t-ce selon des modalitĂ©s inusitĂ©es, elle rend reconnaissant.
- Sans doute dois-je prĂ©ciser que je fais partie de ceux que la sociĂ©tĂ© nomme « nos aĂźnĂ©s » (ce qui mâagace) car une personne plus jeune voit sĂ»rement les choses autrement.
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Catherine Chalier  est professeur Ă©mĂ©rite Ă lâuniversitĂ© Paris Ouest Nanterre-La DĂ©fense et membre de lâInstitut de Recherches Philosophiques (IRePh). SpĂ©cialiste de lâĆuvre dâEmmanuel Levinas, ses thĂ©matiques de recherche sont la philosophie morale, la mĂ©taphysique et la phĂ©nomĂ©nologie. Elle a publiĂ© plusieurs ouvrages qui explorent le lien entre la philosophie et la source hĂ©braĂŻque de la pensĂ©e.
DerniĂšre publication : Rabbi Chmuel Bornstein (1856-1926). Lâespoir Hassidique, coll. Les carnets spirituels, Ăditions Arfuyen, 2019
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