Le maillot de bain, qu’il soit une pièce, bikini, tanga, string, pour une femme, ou, pour un homme, slip, boxer, short, boardshort, ouvre à un paradoxe que ne présente aucun autre vêtement : on ne sait pas s’il habille ou déshabille, s’il évite la nudité et en protège, ce que regretterait un(e) adepte du naturisme, ou, au contraire, la souligne, la renforce, l’exhibe, comme le craignent les pudibonds. Dans tous les cas, il ne faudrait pas oublier qu’un tel « costume » est d’abord de bain, autrement dit fait pour être dans l’eau et nager, et qu’il se doit donc d’être le plus fin et le plus « glissant » possible, telle qu’est la peau nue. Son idéal est donc de n’être « presque pas ». Aussi a-t-on du mal à imaginer que dans les siècles antérieurs il ait pu être en laine et coton, et, au sortir de l’eau, peser des kilos, ou qu’il recouvrait tout le corps, non pour des raisons de pudeur mais parce qu’il fallait éviter à tout prix que le corps perde sa blancheur – signe de noblesse – et se recouvre d’un bronzage disgracieux et vulgaire. Il est difficile de dire quand commence l’histoire du maillot de bain. Près de la ville sicilienne de Enna, à Piazza Armerina, on peut voir une mosaïque du IIIe siècle après
J.-C. qui représente une douzaine de jeunes filles : elles sont habillées de deux bandes de tissu, recouvrant, l’une, le bas du ventre, l’autre, sans bretelles, la poitrine – et ressemblant en tous points à un bikini. Mais elles ne s’apprêtent pas à se baigner : elles jouent, ou dansent. Il est vrai que dans l’Antiquité « se baigner » n’était pas une coutume, ni dans la mer ni dans une autre étendue d’eau. Ablutions et purifications se faisaient dans les vasques des fontaines publiques, les piscines d’eau tiède (caldarium) ou les thermes – sans qu’un « habillement » particulier soit nécessaire. L’histoire du maillot de bain, en tant que tel, épouse donc celle de la baignade, de la pratique, née à Paris au milieu du XVIIIe siècle, qui consiste à se rendre sur les plages normandes ou méditerranéennes pour goûter aux salutaires (disait-on alors) bains de mer. Dès lors, le maillot de bain devient quasiment un objet kaléidoscopique, où convergent, mêlées, les significations de multiples « histoires », l’histoire des rapports au rivage, l’histoire du tourisme, l’histoire des coutumes, de la mode, de l’industrie, des mentalités, du sport, de l’esthétique, de la pudeur, de la sexualité, du féminisme, de la liberté… Rarement un tout petit bout de tissu aura eu tant de scintillements sémantiques !
Se mettre en maillot
Cet événement est intégré au cycle « Semaine PhiloMonaco 2024 »
Intervenants
Marie-Aude Baronian
Philosophe
Marie-Aude Baronian est docteur en philosophie et en études cinématographiques, elle enseigne au département Media Studies l’esthétique filmique, la culture…
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Chantal Thomas
de l'Académie française
Officier de l’Ordre National du Mérite Commandeur des Arts et des Lettres. Après avoir enseigné la littérature aux U.S.A. pendant…
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Laurence Delamare
Directrice du 7L et de la narration éditoriale mode de CHANEL
Née à Rouen, France, en 1968, diplômée en droit des affaires et droit international et européen, Laurence Delamare débute dans…
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Thierry Consigny
Conseiller culturel et artistique de Monte-Carlo Société des Bains de Mer
Thierry Consigny, conseiller culturel et artistique de Monte-Carlo Société des Bains de Mer, est l’auteur de quelques livres autobiographiques publiés…
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