Le vin aime bien la philosophie, et va bien avec elle – un rosé frais sied à l’apéritif, un soir d’été. Dans la Grèce antique, il accompagnait les discussions philosophiques. On le voit dans Le Banquet de Platon, où chaque convive est appelé à faire l’éloge de l’amour, tout en mangeant et en buvant à loisir un vin mêlé d’eau et chauffé, que les convives, s’ils sont amants, se passent de bouche en bouche. À la fin tout le monde est saoul, abruti, et s’écroule dans un sommeil éthylique – sauf Socrate, dont la sagesse est telle qu’elle sait saisir la limite entre ivrognerie et ivresse. Dans un autre texte, Les Lois (649a), Platon dit ceci du vin : « L’homme qui en boit ne se rend-il pas tout de suite lui-même, pour commencer, de meilleure humeur qu’il n’était auparavant ? À mesure qu’il y goûte davantage, ne fait-il pas que de plus nombreuses espérances l’emplissent, ainsi qu’une puissance imaginaire ? Et même à la fin, un tel homme qui se figure être sage, n’est-il pas tout plein de la plus complète liberté en ses propos, de la plus complète absence de crainte, au point de n’hésiter à dire, ni même à faire n’importe quoi ? ». L’appréciation semble plutôt positive : le « nectar des dieux » est source de plaisir, de bonne humeur, débride et décuple les forces de l’imagination, libère la parole, brise les inhibitions… Le bémol n’est qu’à la fin : sous l’emprise de l’alcool, l’individu peut « dire et faire n’importe quoi ». Et n’être pas beau à voir : vociférations, vomissements, diurèse, céphalées, excitation sexuelle, troubles de la vision et de la motricité, violence, et, surtout, restriction du jugement et du sens moral. Mais ce même « excès », qui fait tourner l’action en exaction, la parole ordonnée en incompréhensible logorrhée, la pensée en délire, est aussi le moyen de faire s’enflammer la fantaisie, de susciter des discours enjoués, brillants, inouïs, d’aller « au-delà de soi-même », sinon nouer un dialogue dionysiaque avec des puissances divines. Si le vin aime la philosophie, c’est qu’il lui plaît de jouer avec elle, de la pousser, elle si raisonnable, vers ses derniers retranchements, vers ce seuil trouble où la raison vacille, encore ancrée à la mesure, à ce que la raison peut maîtriser, et déjà inspirée ou aspirée par la démesure, qui lui fait entrevoir ce qui lui échappe. Et si la philosophie aime le vin, c’est que celui-ci l’oblige à être plus « terrestre », l’invite à se pencher vers la terre, le terroir, les sols argileux, calcaires ou sablonneux, le monde minéral et végétal, et à nouer des rapports fertiles avec toutes les disciplines, les savoirs, les expériences, les traditions, les langages que le vin mobilise, l’œnologie bien sûr, mais aussi la géographie, l’agronomie, la géologie, la botanique, la bactériologie, la chimie, l’histoire, la technologie, la gastronomie, la climatologie, l’anthropologie, la religion, la mythologie…
Le vin
Cet événement est intégré au cycle « Semaine PhiloMonaco 2024 »
Intervenants
Robert Maggiori
Membre fondateur / Philosophe
Robert Maggiori est philosophe, traducteur, journaliste, critique littéraire et philosophique (Libération). Il a publié plus d’un millier d’articles, dont des…
En lire plus
Pierre-Yves Quiviger
Philosophe
Pierre-Yves Quiviger est professeur des universités en philosophie à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, dont il dirige l’UFR de philosophie. Normalien, agrégé…
En lire plus
Maxime Pastor
Sommelier
En lire plus