Le rire de la vérité

Rencontre

Cet événement est intégré au cycle « Semaine PhiloMonaco 2025 »

L’anecdote, tirée du Théétète de Platon (174), est célèbre. Socrate raconte à un ami l’histoire de Thalès, lequel, tout occupé à observer les astres, trébuche et tombe dans un puits. A la scène assiste une servante thrace, «toute mignonne et pleine de bonne humeur». Voyant la chute, elle éclate d’un grand rire, et se moque du pauvre Thalès, qui, à vouloir savoir ce qui se passait dans le ciel, en oublie de prendre garde à ce qu’il y devant ses pieds. On voit ainsi que dès son aube grecque, la philosophie – terme dont Thalès de Milet, justement, serait l’inventeur – a prêté le flanc au persiflage, en ce qu’elle préférerait se hisser dans les hautes sphères de l’abstrait plutôt de regarder le parterre des faits réels et concrets. Critique infondée et injuste, évidemment – mais là n’est pas la question, qui serait plutôt de savoir non comment rire de la philosophie mais comment «dérider» les vérités qu’elle proposerait de manière trop péremptoire. Le rire serait-il cet élément «liquide» qui empêcherait le ciment de la vérité de «prendre», empêcherait la vérité de devenir «roc» inébranlable, dogmatisme – un peu comme les  éclats de rire, les blagues, les sarcasmes, les facéties, les transgressions du bouffon empêchaient au Moyen-Age que le roi prît au sérieux sa propre autorité au point de la rendre intangible et infaillible, inattaquable. Au fond, le tyran ne «rigole pas», et s’il rigolait il ne serait peut-être pas tyran. Précisément parce que le rire est le témoin que l’esprit s’est rendu sensible à ce qu’il n’attendait pas, à ce à quoi il ne s’attendait pas, à la surprise, à un rapprochement incongru d’idées, à une «apparition disparaissante», à l’éclair d’une intuition nouvelle, à la force évocatrice d’un mot, à l’absurdité d’une situation, à un propos paradoxal, au pied de nez adressé, avec une légèreté et une audace qu’on croyait impossibles, au désespoir, à la maladie, à la mort, au sacré… C’est pourquoi, d’ailleurs, dans de nombreuses traditions, le rire est voué aux gémonies: Aristote en fait une forme de «laideur», la Règle bénédictine le fustige, comme ce qui s’oppose au silence, véritable vertu, et à la parole tue, modérée, contrôlée, et tous les régimes autocratiques ou totalitaires tentent de l’étouffer, sans doute parce qu’il ajoute la joie, la frénésie, la camaraderie, le sens de la fête, le charivari, la raillerie, aux manifestations de la satire sociale, des contestations et de lutte contre les pouvoirs. En réalité, rire et faire rire est un exercice aussi complexe que philosopher, car, dans l’ironie par exemple, il tient de l’équilibre précaire entre voilement et dévoilement de ce qui compte vraiment dans l’existence, il console et distrait l’homme du mal, et en même temps le lui montre, il dénonce les vices et erreurs de la société, mais sans déprimer ni, de résignation, obérer les âmes. Mais le rire a tellement de formes – agressif, moqueur, noir, amical, sardonique, angélique, ironique, humoristique, burlesque, gras, grotesque… – qu’on ne saurait sans rire dire laquelle est la plus apte à dérider la vérité philosophique ou à trouver la vérité que la philosophie ne trouve pas.

Intervenants

Gad Elmaleh

Humoriste et acteur

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Olivia Gazalé

Philosophe

Olivia Gazalé est professeure de philosophie et essayiste.  Elle a enseigné la philosophie pendant 25 ans, notamment à l’Institut d’études…

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Mouloud Achour

Journaliste et animateur de télévision

Après ses débuts à la radio sur Fréquences Paris Plurielle ( 1997 ) Mouloud Achour passe par la presse écrite…

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