En juin 1953, Gunther Anders engage une longue correspondance avec l’un des pilotes américains du bombardement atomique d’Hiroshima, Claude Eatherly. Celui-ci n’est pas le pilote du Enola Gay, qui a effectivement largué la bombe le 6 aout 1945, Paul Tibbets. Claude Eatherly était le pilote du Straight Flush, le pilote de reconnaissance qui, une heure avant le bombardement atomique, avait survolé Hiroshima afin de déterminer si les conditions météorologiques, atmosphériques et « militaires », étaient favorables au largage de la bombe. Après le bombardement, et suite à une première tentative de suicide en 1950, Claude Eatherly est interné dans un hôpital psychiatrique de l’armée américaine. Eatherly refusa catégoriquement d’être salué en héros national pour sa participation dans le bombardement d’Hiroshima malgré l’énorme pression des autorités américaines à son égard. Il souffrit de sévères dépressions, de crises d’anxiété et évidemment de profonds remords. Il fut suivi par un traitement psychiatrique au Veterans’ Administration Hospital, situé dans la petite ville de Waco au Texas. Gunther Anders engage une longue et puissante correspondance avec le pilote américain. Celle-ci est extrêmement significative pour sa propre démarche philosophique et pour l’interprétation de la société contemporaine issue de la IIème guerre mondiale.
Le philosophe cherche tout particulièrement dans ses lettres à rassurer celui qui deviendra un ami et un compagnon de route dans la contestation et la lutte anti-nucléaire. Mais il cherche aussi, voire surtout, à décrire et à saisir en quoi et comment, à travers la question nucléaire, notre époque est entièrement cernée par une prolifération inédite de la technique. Celle-ci, loin d’amener le perfectionnement de l’humain, l’enferme dans une logique qui pourrait le conduire à son auto-extinction.