Quels maux pour le corps ? Le corps souffrant // Claire Marin

Philo Blog

 

Y a-t-il une leçon, un savoir Ă  tirer de l’expĂ©rience du corps souffrant ? 

Il semble, Ă  premiĂšre vue, qu’il n’y ait pas de terrain commun entre la souffrance et la pensĂ©e : la souffrance Ă©clipse la pensĂ©e, la dĂ©sarme. Il s’agit en effet de deux temporalitĂ©s radicalement diffĂ©rentes : la pensĂ©e est dans le dĂ©ploiement de la durĂ©e, la souffrance dans la convocation immĂ©diate, sans dĂ©lai, dans une logique de l’instant, mĂȘme si cet instant peut paraĂźtre s’Ă©tirer indĂ©finiment. En ce sens, on pourrait parler d’une verticalitĂ© de la souffrance oĂč la pensĂ©e est rendue impossible. 

La souffrance est d’abord un Ă©chec de la pensĂ©e : elle n’offre pas de prise de rĂ©flexion, la seule mĂ©canique de pensĂ©e qui puisse se dĂ©clencher tourne en rond autour de la souffrance, comme un fauve en cage, ou dĂ©ploie Ă  l’infini des images angoissantes : « De quelle catastrophe Ă  venir cette douleur intense est-elle le signe ? » 

Pourtant on peut essayer, Ă  distance, Ă  posteriori, de dĂ©crire cette souffrance, d’en tenir le journal, en lĂ©ger diffĂ©rĂ©, pour essayer de comprendre ce qu’elle est, quel type d’expĂ©rience elle est : une expĂ©rience, on le verra, de la dĂ©mesure, de l’excĂšs, de la suspension de nos habitudes, et plus particuliĂšrement de notre habitude d’ĂȘtre. On peut donc soupçonner qu’elle nous rĂ©vĂšle quelque chose d’une intime altĂ©ritĂ© dont le sujet peut-ĂȘtre pourra par la suite se ressaisir (…) 

 

Claire Marin, “Quels maux pour le corps ? Le corps souffrant”, Le Corps, Les Rencontres Philosophiques de Monaco, 2017, p.20

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