Les violences au secret // Simon Lemoine

Il faut ici Ă©tudier une question importante : pourquoi lâattention se porte sur les petits dĂ©tails de la vie de chacun, et non sur les lieux de pouvoir ? Par exemple au travail : on regarde de prĂšs mes activitĂ©s quotidiennes, on fait la liste de mes compĂ©tences supposĂ©es et on les mesure finement, on diagnostique mes « aptitudes », mes « ressources », mon « potentiel », on vĂ©rifie que jâeffectue bien les progrĂšs attendus, etc. On se concentre, donc, sur mille parcelles rĂ©elles ou supposĂ©es des individus, plutĂŽt que de mettre la lumiĂšre sur le fonctionnement des lieux de pouvoir. Ceux-ci restent dans lâombre, ils font lâobjet dâune rĂ©flexion « en interne », comme dit lâexpression, sans vĂ©ritablement ĂȘtre discutĂ©s avec le mĂȘme souci du dĂ©tail par les premiers concernĂ©s : les Ă©lĂšves, les employĂ©s, les usagers, etc. On a donc, et lĂ encore Foucault lâavait soulignĂ© il y a plus de quarante ans dĂ©jĂ , un pouvoir qui fonctionne moins par la force que par une distribution inĂ©gale de lâattention : on dirige lâattention sur les individus, en cherchant Ă les rendre plus empathiques, plus bienveillants, plus investis, plus coopĂ©ratifs, plus autonomes, mais cette concentration de lâattention dans une seule direction a pour effet de laisser dans lâombre un lieu qui lui aussi mĂ©rite dâĂȘtre Ă©clairĂ©, dâĂȘtre discutĂ©, dâĂȘtre tout autant examinĂ©. Dâautant plus que câest depuis ce lieu, aujourdâhui largement invisible, que lâon va dĂ©cider des critĂšres, des normes, des points de comparaison qui servent Ă juger dans les moindres dĂ©tails les individus (âŠ)
Simon Lemoine, « Les violences au secret », La violence, Les Rencontres Philosophiques de Monaco, 2018, p.61
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