Il s’agit de réinterroger le concept de limite dans les champs psychopathologique et psychanalytique au-delà d’une centration nosographique sur la catégorie de trouble borderline de la personnalité. Adoptant une approche conceptuelle, notre propos se centre sur une forme particulière de limite que sont les frontières. La notion de frontière permet à la fois de dépasser une approche purement linéaire, bidimensionnelle induite par le terme de limite et de promouvoir une approche dynamique et processuelle.
La notion de frontière fait l’objet de nombreux débats et s’inscrit dans une réflexion sur la spatialité de l’appareil psychique. Freud l’a associée à la pulsion et au moi comme être de frontière. P. Federn a prolongé ces travaux en s’intéressant aux frontières du moi et à leur fluctuation notamment dans la schizophrénie et la dépersonnalisation. D’autres concepts participent à la compréhension de la délimitation de l’appareil psychique : le pare-excitation proposé par Freud, les barrières travaillées par Bion et dans le domaine des troubles autistiques et le moi-peau de Didier Anzieu.
La notion de frontière met en tension l’espace bi- et tri-dimensionnel, ligne de démarcation et lieu de passage, zone de conflit et de transformation, trophicité et toxicité. Elle souligne l’importance d’être plus qu’une simple ligne, mais un espace véritable, lieu psychique en construction. Elle nous permet de dégager l’idée d’enjeux et de travail de frontière. Les enjeux de frontière concernent la délimitation et la différenciation dedans/dehors et en interne celle des différents espaces ou instances psychiques. Le travail de frontière, travail psychique de transformation, de mise en tension, de conflictualisation et de confrontation à un au-delà du moi, du corps et du langage.
Les enjeux de frontière aboutissent à la délimitation interne/externe et à la différenciation : bon à l’intérieur et mauvais à l’extérieur et en garantissent la protection. Ils se prolongent dans le travail de frontière : la frontière délimite les contenants mais elle participe aussi à l’intégration du contenu. Dans sa dynamique, le travail de frontière participe à la transformation de l’excitation, dont la valeur paradigmatique est soutenue : passage de frontières qui poussent aux changements. Le travail de frontière est particulièrement sollicité à l’adolescence, mais il perdure tout au long de la vie et peut favoriser ou entraver les processus de changement, il peut se rigidifier, se scléroser, limitant alors la dynamique psychique, et participer à la genèse des symptômes.
Penser les limites en termes de frontière permet de rendre compte des processus psychiques engagés tout au long de la vie dans la délimitation et la transformation de l’appareil psychique. L’attention portée aux enjeux et au travail de frontière, dans leur fonction transformationnelle mais aussi dans leurs points de butée, soutient une approche dynamique du fonctionnement psychique, sur un continuum entre normal et pathologique. La frontière, en tant que forme particulière de limite, offre une lecture originale des processus sous-jacents à l’expression contemporaine de la souffrance psychique et dynamise l’approche nosographique.
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