Laurence Aubrun invite à penser cette relation cachée, que tous connaissent du fait de leur propre vie intra-utérine, et que tant de femmes connaissent en attendant l’enfant. L’état de grossesse questionne ici la philosophe qu’était déjà l’auteure avant l’expérience de ses maternités. Peu de situations font autant penser que l’enfantement et, pourtant, les écrits qui forment la tradition philosophique n’en tiennent guère compte et cette expérience indéniable n’informe pas, comme elle devrait le faire, les catégories classiques d’altérité, d’autonomie, d’activité ou de liberté. Cet ouvrage s’y emploie et le fait avec tact de telle sorte que l’état particulier de la femme enceinte concerne chacun : en s’étonnant de la présence en soi d’une vie autre que la sienne, la réflexion n’oublie pas les lecteurs qui n’ont pas connu cela, y compris celles qui, peut-être, en souffrent. Les « enceintes » sont aussi constituées de tous ceux et celles qui sont blessés par les formes d’absence. D’ailleurs, bien que de tonalité heureuse et émerveillée, la joliesse de la maternité n’est pas de mise ici. La vie s’y montre plus forte que nos décisions mentales, que notre activité intentionnelle et, souvent, que nos résistances physiques. Il s’agit alors de penser le contact de croissance en tant qu’il recèle la promesse d’une vie meilleure. À plusieurs reprises, l’expression « comme si de rien n’était » manifeste la puissance de la vie qui vient en bousculant, en mettant définitivement fin à l’insouciance d’une jeune femme, en ordonnant ses forces à l’envoi vers le monde de l’être ici le plus proche de son cœur. Alors, à la lecture de ces pages, revient en mémoire la phrase consolante de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience. »
ISBN : 9782353898985