« Le chez-soi a toujours Ă©tĂ© travaillĂ© par lâautre, et par lâhĂŽte, et par la menace de lâexpropriation. Il ne sâest constituĂ© quâĂ lâombre de cette menace. NĂ©anmoins, on assiste aujourdâhui Ă une expropriation nouvelle, Ă une dĂ©territorialisation, Ă une dĂ©localisation, une dissociation si radicales du politique et du local, du national, de lâĂtat-national et du local, que la rĂ©ponse, il faudrait dire la rĂ©action, cela devient : je veux ĂȘtre chez moi, je veux ĂȘtre chez moi, je veux ĂȘtre chez moi enfin, avec les miens, auprĂšs de mes proches.
Cela nâest mĂȘme pas une rĂ©ponse dâailleurs, ce nâest pas une rĂ©activitĂ© secondaire qui vient en quelque sorte compenser, rĂ©agir aprĂšs-coup, non, câest le mĂȘme mouvement. Il appartient Ă la constitution du propre et relĂšve de cette loi dâex-appropriation dont je parlais plus haut : pas dâappropriation sans possibilitĂ© dâexpropriation, sans la confirmation de cette possibilitĂ©.
Prenons lâexemple de la tĂ©lĂ©vision. La tĂ©lĂ©vision introduit dans le chez-moi lâailleurs, et le mondial, Ă chaque instant. Je suis plus isolĂ©, plus privatisĂ© que jamais, avec chez moi lâintrusion en permanence, par moi dĂ©sirĂ©e, de lâautre, de lâĂ©tranger, du lointain, de lâautre langue. Je la dĂ©sire et en mĂȘme temps je mâenferme avec cet Ă©tranger, je veux mâisoler avec lui sans lui, je veux ĂȘtre chez-moi. Le recours au chez-soi, le retour vers le chez-soi est dâautant plus puissant, naturellement, quâest puissante et violente lâexpropriation technologique, la dĂ©localisation. Ă partir du moment oĂč la âdĂ©mocratisation â, ou ce quâon appelle de ce nom, a fait de tels âprogrĂšsâ, grĂące justement aux technologies dont on parlait tout Ă lâheure, au point que, les idĂ©ologies totalitaires classiques sâĂ©tant effondrĂ©es, en particulier celles qui Ă©taient reprĂ©sentĂ©es par le monde soviĂ©tique, lâidĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale du marchĂ© nâĂ©tant plus capable de se mesurer Ă sa propre puissance, Ă partir de ce moment-lĂ , le champ est plus libre pour cette forme du retour chez soi quâon nomme le âpetit nationalismeâ, le nationalisme des minoritĂ©s, le nationalisme rĂ©gional, provincial, lâintĂ©grisme religieux, qui va souvent de pair avec lui et essaie aussi de reconstituer des Ătats-nations ; dâoĂč la rĂ©gression comme mouvement qui accompagne, en vĂ©ritĂ© suit comme son ombre, se confondant presque avec elle, lâaccĂ©lĂ©ration du processus technologique, qui est toujours aussi un processus de dĂ©localisation. »
J. D., B. S.
ISBNÂ : 9782718604800
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